Portrait de Moscou, portrait de ville

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Auteur(s) : Elisabeth Essaïan
Éditeur(s) : Cité de l'architecture et du patrimoine
ISBN : 978-2-916183-14-5
Prix : 20 euros
Date de publication : 2009

Depuis vingt ans – la fin du régime soviétique datant de 1991 -, le développement économique et urbain de Moscou est spectaculaire, dans la logique néolibérale de la mondialisation, avec son dynamisme mais aussi ses excès qui creusent la fracture sociale et génèrent de l’exclusion. Les nouvelles fortunes et les grands chantiers fleurissent(1). Le boom de l’immobilier moscovite est sans précédent dans l’histoire de la capitale russe devenue une des villes les plus chères et les plus embouteillées du monde, le parc automobile ayant connu une croissance exponentielle, renforcée par le développement de l’habitat pavillonnaire hors la ville. Mais les bonds en avant les plus rapides sont aussi les plus fragiles en cas de crise. Celle en cours a mis un coup d’arrêt, après le krach de 2008, à de nombreux projets, certains signés de stars de l’architecture internationale, comme Norman Foster avec la Crystal Island et la Russia Tower. Tours de bureaux, grands centres commerciaux (certaines enseignes occidentales sont déjà très implantées) et autres programmes d’envergure sont gelés en attendant des jours meilleurs. Seul le nouveau quartier d’affaires de Moscow-City – qui sera l’équivalent moscovite de La Défense pour Paris ou de la City londonienne – tire son épingle du jeu et ne subit qu’un ralentissement.
Étant relativement peu dense, la ville peut se développer sur elle-même, tant par requalification de friches industrielles ou de délaissés que par densification des cœurs d’îlots traditionnellement vastes et dégagés. Le renouvellement urbain continue aussi à se faire par démolition et reconstruction, l’ancienne ville horizontale s’effaçant peu à peu au profit de gabarits plus hauts, d’autant que les voies sont plutôt larges. La conservation du patrimoine n’est pas une préoccupation prioritaire, si ce n’est en termes d’image nationale à vocation touristique. Ainsi le façadisme (on ne garde que la façade principale) est une pratique courante comme aussi la reconstruction “à l’identique” (en apparence), voire imaginaire comme celle du palais Tsaritsino, sans craindre le kitsch ou la disneylandisation. Un important promoteur a même bâti une copie d’une des sept vyssotki, les fameux gratte-ciel staliniens qui rivalisent dans les esprits avec les historiques dômes bulbés pour identifier la ville.
Malgré la crise, Moscou reste un pôle très attractif, tant au sein de la Fédération de Russie qu’à l’extérieur. Capitale du pays le plus vaste du monde(2), elle est “sujet”(3) à part entière de la Fédération. Située au cœur de la Russie d’Europe, elle est à seulement 2500 km de Paris mais à 9100 km de Vladivostok sur le Pacifique. Elle est au croisement d’influences multiples, occidentales et extrême-orientales, caucasiennes et d’Asie centrale. Même si les gratte-ciel new-yorkais ont inspiré les vyssotki dans les années 1950, elle se développe aujourd’hui plutôt à la manière des villes asiatiques, les nouveaux milliardaires rêvant sans doute de Dubaï.
En considérant les villes dans leurs limites administratives, Moscou (1.060 km2, 10,5 millions hab.) est en quatrième position pour son chiffre de population après Bombay (11,9 millions hab.), Sao Paulo et Shanghai. Par contre, si l’on prend les chiffres de population des agglomérations, elle est 17e, avec 14,7 millions d’habitants (chiffres 2009), la première étant Tokyo avec 37 millions. Longtemps, le territoire de la ville a grandi au rythme de l’agglomération, ses limites administratives calquant la réalité de son développement sur le terrain. Ce n’est que depuis 1991, avec l’avènement de la nouvelle organisation administrative de la Fédération de Russie et le rétablissement du droit de propriété privée du sol, sauf à Moscou même(4), que la ville intra-muros, restée dans ses limites de 1985, a été peu à peu dépassée par son agglomération. Aujourd’hui où la question du Grand Paris est au cœur de l’actualité en France, on voit à quel point les deux situations sont contrastées puisque la capitale française(5) est restée, quant à elle, dans ses limites de 1840.

Gwenaël Querrien