un lieu chargé d’histoire dans un quartier populaire de l’Est de Paris

un lieu chargé d’histoire dans un quartier populaire de l’Est de Paris

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Après avoir investi différents locaux, l’école s’est installée en 2009 au 60 boulevard de la Villette dans un ancien lycée technique. Réhabilitée par l’architecte Jean-Paul Philippon, elle est composée de plusieurs bâtiments qui s’articulent autour d’un jardin.

60 bd de la Villette, l’ancien lycée technique Diderot

Le site dans lequel l’école est installée depuis septembre 2009 est lié à l’histoire de l’enseignement professionnel, au cœur du quartier populaire de Belleville. La Ville de Paris y avait créé en 1873 une école-type d’enseignement professionnel novatrice pour former les ouvriers et les cadres des métiers du bois, du fer, de l’électricité puis de l’électromécanique. La IIIe République naissante souhaitait alors procurer aux populations ouvrières des quartiers de la Goutte d’Or, de la Villette, de Charonne et de Belleville une formation fondamentale à un métier. Ce fut ensuite le premier lycée technique français, avec des classes préparatoires aux écoles nationales supérieures des arts et métiers, le lycée technique Diderot, réinstallé en 1995 rue David d’Angers.

Le site comprenait sept bâtiments érigés de 1873 à 1933, et agrégés autour de trois cours, représentant un bon exemple de la production courante de l’école rationaliste française de la fin du XIXe siècle et des débuts du fonctionnalisme de la première moitié du XXe siècle.

la réhabilitation par Jean-Paul Philippon

Le 9 juillet 2001 le Conseil de Paris a décidé d’affecter l’établissement au ministère de la Culture pour y installer l’école d’architecture de Paris-Belleville. Parallèlement, l’école des Ingénieurs de la Ville de Paris, s’installait dans les locaux occupés jusqu’alors par l’Ensa-PB, rue Rébeval quelques centaines de mètres plus haut.  

La maîtrise d’œuvre a été confiée à l’architecte Jean-Paul Philippon et au bureau d’études Ingérop, désignés sur concours en juillet 2002. Les travaux se sont déroulés de 2005 à 2009. La programmation avait été élaborée de manière participative. L’architecte s’est efforcé de limiter les démolitions (4 000m²) au profit de la réhabilitation (7 000m²) et de la création (7 600m²), de tirer le meilleur parti des potentialités créatrices du site, de bien insérer le projet dans la ville, conciliant histoire, patrimoine et modernité. 

Les nouveaux locaux ont permis à l’école d’améliorer grandement la qualité des conditions d’étude de ses étudiants.

la mise en musique par Michel Aubry, artiste plasticien, au titre de la commande publique

Une série de pentagones au sol forme un parcours de la cour Villette, au sud, à la cour Burnouf, au nord, en passant par le hall central et le jardin. Ce tracé, traduction spatiale de la musique sarde des launeddas, permet une mise en musique du bâtiment. En effet, les pentagones traduisent visuellement les pentacordes qui correspondent aux échelles musicales de cinq notes des mains droite et gauche de l’instrument. Trente-trois sons sont noyés dans le sol du hall central formant douze pentagones. Les notes correspondant aux longueurs des conduits sont obtenues en plaçant des anches aux entrées d’air. Les conduits d’air sont matérialisés par des gravures de laiton, les emplacements des anches et les sorties d’air sont protégés par des boîtiers en bronze.
Plaquette sur l’installation de Michel Aubry

Quels lieux a occupé l’Énsa-PB de 1969 à 2009 ?

Présentation des locaux successifs de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville (d’après une chronique de François Laisney, maître de conférences et architecte et avec le concours de JeanPaul Midant, maître de conférences de l’Énsa-PB et de David Karbas, architecte DPLG, ancien élève, dont le mémoire a porté sur l’histoire des lieux).

 

  • Les étudiants de “l’atelier collégial 1”

L’atelier dissident de l’école des Beaux-Arts, regroupés autour de Bernard Huet louent un minuscule atelier au fond de l’impasse Lisa en 1965 dans le 11ème arrondissement. Le collégial rejoint le “groupe C” rive gauche abrité dans le sous-sol du Grand Palais. Il va former le noyau de la nouvelle unité pédagogique d’architecture n°8 (UP8) reconnue en 1969.

 

  • L’UP8, rue Viarmes (1er arrondissement) de 1969 à 1974

Le baptême de l’UP8 est effectué dans l’un des pavillons des halles centrales (1 et 2) dont la désaffection avait commencé. L’édifice, rue Viarmes, avait été construit en 1935 par l’architecte Dubos, inspiré de Baltard, mais divisé en trois niveaux et disposé en hémicycle autour de la bourse du commerce. L’UP8 en a occupé le niveau supérieur avec une vue axiale stupéfiante sur l’activité nocturne de l’immense nef centrale de Baltard : vision onirique inoubliable pendant les nuits de charrette !

 

  • Puis au 69 rue du Chevaleret (13ème arrondissement) de 1974 à 1981

Les halles abattues, l’école est logée en 1974 dans les trois étages d’un immeuble banal de bureaux neufs au 69 rue du Chevaleret avec une vue sur le site d’une friche industrielle dont on ne se doutait pas encore qu’elle deviendrait le plus important projet urbain parisien, Seine Rive Gauche.

 

  • Et au 78 rue Rébeval (19ème), au cœur de Belleville de 1981 à 2009

À l’issue du bail, les enseignants dénichent une opportunité qui leur convient, un immeuble dans le 19ème arrondissement, racheté par la RIVP au Secours Mutuel Agricole qui y abritait ses archives. La RIVP s’engageant à un long bail accepte que les travaux soient effectués pour les besoins de l’école. Au 78 rue Rébeval, au cœur de Belleville, il s’agit d’un beau bâtiment industriel, le siège des usines Meccano, la célèbre marque de jouets, construit en 1922 par l’architecte belge, Arthur Vye-Papmintep
Accessible à mi-pente par la rue, le bâtiment déploie ses cinq niveaux en cœur d’îlot. Véritable leçon d’architecture, l’étroite façade sur rue de l’ancien bâtiment administratif mériterait d’être classée. C’est un petit bijou de romantisme pittoresque post-Art Nouveau d’inspiration bruxelloise. Tirant parti du double dénivelé du terrain, la partie centrale forme cour anglaise et se déploie en courbe, en contre courbe. Son effet est renforcé par la verticalité et la variété des baies. Son raccord aux immeubles mitoyens est assuré par des avancées en forme de tourelles à la silhouette crénelée. Les espaces récupérés conviennent bien à la fonction d’école d’architecture : la grande et longue nef centrale entre rue et cour est un espace idéal pour les expositions et les rencontres. La lumière arrivant à chaque extrémité était magiquement transmise par des planchers de pavés de verre qui disparaîtront lors de travaux de mise aux normes de sécurité. Les plateaux superposés de l’usine sur cour, entièrement vitrés de fenêtres métalliques ouvrantes, offrent un espace idéal pour les studios. La reconversion précaire est effectuée par Christian Gimonet, architecte, assisté de Patrick Bouchain en 1981.

L’UP8 devenue École d’architecture de Paris-Belleville en 1986 va accueillir des transfuges des ex UP7 et UP5 successivement supprimées. Elle pallie des besoins croissants de mètres carrés en multipliant les locations annexes dans le quartier (boutiques, locaux rue Piat, “l’imprimerie” du boulevard de la Villette). La RIVP exécute une annexe dans un fond de cour mitoyen pour y loger l’amphithéâtre et le laboratoire de recherche de l’école, l’IPRAUS. Malgré l’attachement de l’école à ce bâtiment réaménagé pour elle, la piste d’un nouveau site plus vaste susceptible d’accueillir une communauté de 1500 personnes (dont 1100 étudiants) est évoquée. Les étudiants mettent l’École sur une piste, celle de l’ancien lycée technique Diderot, le plus vieil établissement technique de notre pays, 60 boulevard de la Villette, reconstruit en 1995 rue David d’Angers.

 

  • En 2009, l’Énsa-PB s’installe au 60 boulevard de la Villette

Diderot est désaffecté puis squatté en 1996. En 2001, le Conseil de Paris accepte l’affectation du terrain et de ses bâtiments au ministère de la culture pour y installer l’école pour cinquante ans. Sa réimplantation dans le quartier de Belleville témoigne de sa volonté d’ancrage territorial et de l’implication très forte des enseignants dans les actions de réhabilitation du quartier (choix de sites d’étude, actions professionnelles).
Diderot a pour origine l’école-type d’enseignement professionnel de la ville de Paris, ou “école d’apprentis”, créée en 1873 dans le contexte de redéfinition du cadre juridique de l’apprentissage par la troisième république. C’est une école-usine modèle alors très novatrice sur le plan pédagogique. Elle est constituée autour d’une cour centrale de divers bâtiments qui s’agrègent et se surélèvent de 1878 à 1938. Le grand corps de bâtiment formant cour ouverte sur le boulevard, construit en 1913 par l’architecte Antonin Durand est particulièrement remarquable de l’architecture rationnelle de l’époque. Les constructions sur une parcelle mitoyenne de l’architecte Georges Bernier en 1926-1933 ne manquent pas, elles non plus d’intérêt.

La reconversion du bâtiment pour abriter les 14 600 mètres carrés de la nouvelle école, dont la maîtrise d’ouvrage est assurée par l’EMOC et la maîtrise d’œuvre confiée à Jean-Paul Philippon (http://www.philipponarchitecte.fr). Le concours a abouti au choix d’un maître d’œuvre attaché au maintien de l’existant. Mais les exigences quantitatives du programme ne permettront le maintien que d’une partie des structures anciennes.

En septembre 2009, la nouvelle école d’architecture quittera enfin l’âge du provisoire et offrira un exemple intéressant de reconversion. La programmation a été élaborée au travers de plus de cent réunions de pilotage et de définition, et de trois expositions, auxquelles ont participé les enseignants les étudiants et l’ensemble du personnel de l’école. La mairie du 19ème arrondissement a été associée à l’opération dès le début et le projet a été présenté aux habitants du quartier par l’architecte et le directeur de l’école, à la satisfaction évidente des nombreuses personnes qui participaient à la réunion et qui misent sur un renouveau du quartier grâce à cette installation. L’ensemble de l’opération s’élève à 45 millions d’euros, auxquels viendront s’ajouter 3 millions d’euros d’équipements.

Pourquoi le site du 60 bd de Belleville a-t-il été choisi ?

Extrait du préambule à la contribution collective de l’UP8 au dossier consacré par la revue A.M.C. à l’enseignement de l’architecture, en décembre 1971.

Après l’École des Beaux-Arts, les Halles de Baltard, la rue du Chevaleret, puis les anciens Ateliers de jouets Meccano rue Rébeval en 1981, plusieurs années de réflexions, de recherches et d’investigations ont été nécessaires à partir de 1996, avant que les instances de notre école retiennent un site possible à environ 500 mètres de l’école actuelle, et que notre Ministère de tutelle acte définitivement la réinstallation de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville dans son quartier du 19ème, au 60 boulevard de la Villette.

Plusieurs raisons et des niveaux d’intérêts différents justifiaient le choix de ce site, ainsi que l’acquisition des terrains et bâtiments de l’ancien lycée technique Diderot :

1/ L’insertion “intra-muros”, dans notre quartier et la situation de l’ensemble possédant deux accès indépendants : l’un sur l’un des “grands boulevards” de la ville, et l’autre sur une rue secondaire perpendiculaire. Cette inscription urbaine très claire concilie des intérêts pratiques et symboliques évidents pour l’Énsa-PB.

2/ Le type et la morphologie spatiale de l’ensemble bâti représentent un bon exemple de la production courante de l’école rationaliste française de la fin du 19ème et des débuts du fonctionnalisme de la première moitié du 20ème siècle.

3/ L’organisation du plan masse, composant sept bâtiments autour de trois cours aux gabarits et échelles agréables, abritait déjà une communauté d’enseignement public, ce qui du point de vue du caractère distributif de l’ensemble, s’adapte parfaitement aux objectifs, au programme et aux exigences pédagogiques de notre école.

4/ D’un point de vue symbolique et pratique, cet ensemble permet d’accueillir une partie des différentes missions du programme ; ceci en prenant en charge la tradition de pensée de l’école portant sur le droit à la ville, le droit à la vie des quartiers, le droit à l’histoire de l’architecture même mineure, le droit à la mémoire collective et le droit à la création.

5/ Enfin sous l’angle constructif et architectonique, certaines des structures existantes et certains des matériaux mis en œuvre auront une fonction didactique exemplaire pour l’enseignement.

6/ Si cela était nécessaire, ces arguments sont à rapprocher de l’intérêt que l’Énsa-PB manifeste, depuis sa création, pour les recherches portant sur le thème “Naissance et évolution de l’espace architectural moderne aux 19ème et 20ème siècles”, considérant que les œuvres mineures, modestes, voire anonymes ont autant d’intérêt pour l’architecture et son évolution que les chefs d’œuvre majeurs.

Par ailleurs, ce projet est un projet sensible, qui touche à la vie quotidienne des enseignants, du personnel administratif et surtout des étudiants qui constituent somme toute la raison d’être même de l’école.

Aujourd’hui, il va donc de soi que l’école place beaucoup d’espoir dans la perspective et la réalisation de ce projet, tant sous l’angle de la réhabilitation et de l’affectation des pré-existants, que sous l’angle des extensions et des aménagements nouveaux, afin que la qualité des espaces proposés respecte les objectifs suivants :
– Améliorer les conditions de développement de notre pédagogie ; c’est à dire consolider nos manières d’enseigner l’Architecture dans le cursus et renforcer les actions de la recherche.
L’un des objectifs parallèles en la matière est de renforcer la continuité spatiale et temporelle de l’enseignement, en améliorant l’emploi du temps et en prévoyant les conditions de travail optimum pour favoriser la résidence des étudiants dans l’école.
– Encourager la reconstruction d’une véritable culture propre à l’École et asseoir le rayonnement de ses actions vers l’extérieur : expositions -conférences – publications – voyages thématiques -bibliothèque, documentation et archives – entre autres actions.
– Refléter et confirmer au plus haut niveau l’exigence et l’idée qu’entretient notre École quant à la reconnaissance de la dimension culturelle, symbolique et politique de l’architecture.

Si l’intégration de l’école dans la ville peut d’ores et déjà être considérée d’une certaine façon, comme un acquis, le projet devra cependant prendre en compte les attachements aux marques d’ouvertures qui doivent nécessairement articuler l’ensemble de la composition avec le système urbain immédiatement environnant : accès direct ou sélectif, lisibilité publique des façades, clôture et perméabilité, évidence de l’orientation pour les visiteurs, accueil et exposition, sont autant de thèmes décrits plus ou moins explicitement par le programme, et pour lesquelles nous formulons le souhait de réponses claires, traitées avec sensibilité, délicatesse et talent.

Enfin, ce projet de nouvelle école c’est le programme, avec les spatialités qu’il requiert, qui doit guider l’architecte dans son choix de “ce qui est conservé et de ce qui est remplacé”.

L’école nouvelle, alliance de l’ancien et du nouveau, sera ainsi un modèle d’architecture pour tous.
Ensemble, en s’appuyant sur les concepts de reconnaissance, de reconversion et de réutilisation, les investigations et créations nouvelles doivent exprimer les vrais valeurs d’une “modernité” pensée comme continuité de l’histoire.