disparition de Pierre Saddy
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disparition de Pierre Saddy

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Architecte DPLG, membre de la SADG devenue SFA, professeur d’Histoire et Cultures Architecturales à l’Ensa de Paris-Belleville

Pierre Saddy est décédé le 26 octobre 2023 à Chambéry. Il a été un des fondateurs et piliers d’UP8, devenue ENSA de Paris-Belleville. Nous avons demandé à son amie Françoise Véry de retracer brièvement sa carrière.

Pierre Saddy naît le 7 juin 1933 à Chambéry. En octobre 1952, il entre à l’atelier Gromort-Arretche, dont il est un brillant « admissionniste ». Trois ans plus tard, il est classé premier à l’épreuve d’esquisse d’architecture avec 19/20, et réussit l’admission en novembre 1955. En parallèle de ses études aux Beaux-Arts, qui se déroulent de 1956 à 1968, il suit au Conservatoire National des Arts et Métiers les cours de Jean Ache puis ceux de Jean Prouvé, ceux de l’Institut d’urbanisme de l’Université de Paris, et plus tard les séminaires de Jacques Lacan. Il suit enfin le séminaire de Hubert Damisch à l’EHESS pour préparer une thèse intitulée Napoléon Ier et la ville. Mais, engagé, dès ce début des années 80, dans de nombreux travaux – conférences, séminaires, expositions, publications – et malgré la collecte d’une abondante documentation, il ne pourra en mener à bien la rédaction.

En 1960, il organise la conférence de Le Corbusier dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. En 1961, obtient une bourse d’études à Milan, tout comme Bernard Huet. On trouve ici les sources de l’italophilie décrite plus tard par Jean-Louis Cohen.

Dès 1965, son travail est internationalement reconnu, avec un article publié dans Architectural Design intitulé “Melpomène” et l'”infatigable” Saddy”. Sa production écrite conjugue alors actualité et théorisation, à partir d’enquêtes soulignant les modernités des productions historiques de l’architecture avec un regard aiguisé sur chaque détail constructif révélateur de nouveaux modes de penser et de construire. Il organise régulièrement des conférences – outre celle de LC – où il invite les architectes étiquetés “grands maîtres de l’architecture moderne”. Il invite également les intellectuels et les artistes qui l’intéressent. Ainsi parlent à la maison des Beaux-Arts aussi bien Boris Vian que Paul Bossard (merveilleux constructeur, connu pour l’opération de logement “Les Bleuets” à Créteil) ou Man Ray, Ernesto Rogers, Bruno Zevi, Gio Ponti, Jean Prouvé, André Bloc, François Dallégret, Georges Candilis, le père Cocagnac (pour la réalisation du couvent de la Tourette par Le Corbusier) ou André Jaoul (client de Le Corbusier). En 1961, il invite le professeur Joannon, directeur du Laboratoire d’hygiène sociale à la Faculté de médecine de Paris, dont il a suivi les cours en 1957.

Pierre Saddy est responsable de la bibliothèque de l’atelier Arretche (Gromort meurt en 1961) et chargé d’y accueillir les « nouvelles » et les « nouveaux ». Comme beaucoup d’élèves en architecture aux Beaux-Arts, il « fait la place » et travaille dans des agences prestigieuses, comme celles de Michel Écochard ou de Jean Dubuisson à l’occasion de la première restauration de la Villa Savoye, peu avant la mort de Le Corbusier. Le relevé qu’il établit alors se trouve dans les archives de la Fondation Le Corbusier.

Lorsque Claude Malécot organise à la Caisse nationale des monuments historiques et des sites un Service des expositions, Pierre Saddy y réalise des événements importants, comme l’exposition Labrouste qui met en lumière la modernité oubliée de ce pionnier ; et, en 1987-88, Le Corbusier, le passé à réaction poétique, qui montre la profondeur du regard corbuséen sur les cultures historiques, primitives et exotiques, pour nourrir la pensée projectuelle.

Lorsque Bruno Queysanne et Françoise Very créent en 1984 à Grenoble le Certificat d’études approfondies en architecture Les Métiers de l’Histoire de l’Architecture, édifice-ville-territoire, Pierre Saddy en devient un des piliers. En 1982, c’est lui qui inaugure le cycle de conférences que Dominique Lesterlin, responsable de la communication de l’École d’architecture de Grenoble, a mis en place. Perret, l’art de faire chanter le point d’appui présente un des axes clefs de la recherche de Saddy, le binôme Perret/Le Corbusier. Pierre Saddy a légué ses archives à l’École d’architecture de Grenoble en 2013.

Pierre Saddy a été très tôt internationalement reconnu comme un historien majeur de l’architecture, alors même qu’en France son travail n’était souvent compris, dans sa portée décapante et profonde tout à la fois, que par un cercle de connaisseurs et d’amis. Son extraordinaire précision et acuité, dans une multiplicité d’intérêts qui vont du théâtre expérimental aux séminaires de Lacan, interroge inlassablement la place de l’architecture dans la culture comme dans la vie quotidienne.

La diversité de ses centres d’intérêt, articulés autour de la modernité constructive comme de l’avant-garde culturelle en général, en font un exemple phare de l’architecte-intellectuel du XXe siècle qui restera présent, espérons-le, grâce à l’exploitation de ses archives, ouvertes aux chercheurs.

Photo : Jacques Gubler