
quelle(s) mémoire(s) pour les paysages ?

Conférence le 13 novembre 2023 à 18h en amphi nord de Gérard Chouquer, historien et archéogéographe, directeur de recherche au CNRS et membre de l’Académie d’agriculture de France.
Nous venons d’une époque (les XVIIIe-XXe s.) qui a fait de la stratigraphie et de l’évolution son credo. A chaque époque sa couche archéologique, sa période historique, le tout sur le fond de milieux naturels suffisamment immobiles pour servir de cadre à chaque fois. Mais ces conceptions ont connu de grands bouleversements lorsqu’on a pris conscience de l’inversion qui pouvait se produire dans les paysages. On a découvert que ce qui était aujourd’hui déserté avait pu être occupé et mis en valeur, et que l’histoire ne pouvait pas être racontée comme une évolution régulière vers les formes aménagées que nous connaissons. C’était déjà un grand apport.
Mais plusieurs dossiers dus à la conjonction entre archéologie et analyse des formes agraires et urbaines ont fait découvrir autre chose. On a mesuré ce que pouvait être la transmission, et comment elle s’opérait. Loin d’être une loi de conservation du plan, comme on le théorisait au début du XXe s. au temps de Marcel Poëte ou de Henri Lavedan, la dynamique des paysages associe des spatio-temporalités étonnantes. C’est le dossier sur la centuriation romaine à Orange et en Romagne qui nous l’a fait découvrir et théoriser. Ensuite, les travaux de morphologie urbaine ou encore de morphologie routière l’ont également développé. En étudiant comment se déploie cette mémoire, par des modes que nous avons nommé hystéréchronie, uchronie, prochronie, taphochronie, s’ajoutant aux habituelles synchronie et diachronie, nous sommes arrivés au principe assez universel que c’est parce que les paysages sont transformés qu’il y a transmission. Ni rupture et enfouissement (cas de figure plutôt rare), ni maintien à l’identique (idem), mais une série de transformations locales qui composent la dynamique et transmettent les formes.
Face à une organisation des savoirs selon des modes chronologiques (archéologie et histoire par périodes) et séparatifs (la géographie, l’écologie, l’histoire, l’urbanisme), il fallait “inventer” une discipline de cheminement, qui prenne en compte tous ces processus. Nous l’avons nommée archéogéographie. D’autres, moins désireux de s’attacher à une “discipline”, préfèrent garder une expression neutre de morphologie urbaine et étudier comment “faire ville”. Mais c’est la même chose.
Telle qu’elle est aujourd’hui pratiquée, l’archéogéographie apporte une contribution à cette “science du social” dont on a le plus grand besoin. Elle représente une expertise qui propose un discours complémentaire à celui du patrimoine (la conservation en l’état) ou du projet de paysage (quand ce projet entend créer en toute liberté). Elle se préoccupe d’un passé non pénalisant.